Comme la plupart d’entre vous le savent déjà, je suis en arrêt de travail depuis la fin du mois de juillet pour des raisons familiales. C’est maintenant le moment du retour progressif au travail, après trois longs mois d’absence. Pour marquer mon retour, j’avais envie de partager notre histoire avec vous. Cette histoire, c’est celle de mon père, de ma famille et de moi. Accompagner mon père en fin de vie aura sans doute été pour moi la plus belle et la plus difficile des expériences. Je ne vous cacherais pas que d’écrire ces lignes a été très émouvant, mais je pense que cela est nécessaire pour mon cheminement.

Trente jours avant

L’admission à l’hôpital

Le 29 juillet dernier, un membre de ma famille m’a contacté pour m’aviser qu’il avait conduit mon père à l’hôpital et qu’ils ont décidé de le garder en observation. En raison de l’attente de son résultat au test de COVID-19, c’est seulement le 31 juillet au matin que je peux me rendre à l’hôpital d’Amos pour visiter mon père. En arrivant sur place, je constate que son état est bien pire que je le croyais et plus critique que ce qu’on m’avait laissé croire. Dans ce lit, je trouve mon père, faible et amaigri. J’ai peine à reconnaître l’homme qui est devant moi. Ça me fait mal… Il ne parle presque pas et quand il le fait, j’ai de la difficulté à comprendre ce qu’il me dit. Je ne veux pas pleurer devant lui, pour ne pas l’inquiéter. Il est somnolent, mais se réveille de temps à autre. À ce moment, je me donne pour mission de lui offrir un beau sourire chaque fois qu’il ouvre les yeux, c’est ma façon de le réconforter. Je ne sais pas grand-chose de son état, seulement qu’ils doivent lui faire subir une intervention aux poumons dans la journée afin d’être en mesure de voir ce qui ne va pas. J’ai déjà un mauvais pressentiment.

Le diagnostic

Ils apportent enfin papa pour l’installation de son drain aux poumons et l’attente de son retour est interminable… Lorsqu’ils le ramènent finalement à sa chambre, il semble souffrir et j’ai le sentiment que quelque chose ne va pas, que quelque chose se passe. Mais on ne peut rien me dire pour le moment, je dois attendre que le médecin passe nous voir. Les infirmières viennent souvent à la chambre et ont l’air soucieuses, ce qui m’inquiète. Mais elles sont sensibles à mon inquiétude, sont rassurantes et font de leur mieux pour me réconforter, même si elles en ont visiblement plein les bras. Lorsque le médecin finit par arriver, il ne passe pas par quatre chemins pour nous dire ce qu’il en est : « Monsieur Neveu, vous avez une pneumonie sur votre cancer du poumon en phase terminale. » Il se tourne vers moi : « Ce serait le meilleur moment pour appeler vos proches, s’ils veulent voir votre père. » QUOI !?! Il continue à nous dire je ne sais pas quoi, mais les mots « traitements inefficaces », « souffrances inutiles », « enlever la douleur » et « soins palliatifs », font partie du lot. Je le savais au fond de moi que ça n’allait pas, mais je n’assimilais pas ce qui se passait! Mon réflexe sur le moment est de me mettre dans l’angle mort du lit puisque je ne veux pas que mon père me voie, je ne veux pas qu’il voie cette réaction que j’ai. Je ne veux pas qu’il voie que mon cœur se brise à entendre ces mots, même si c’est normal au fond. C’est comme un trou noir, mais je me ressaisis. Je pense à lui et je mets de côté ce que je ressens, comme il l’aurait fait pour moi, son enfant. Je lui dis que je comprends, qu’il a assez souffert dans cette vie. Que je suis là pour faire tout ce qu’il attend de moi, et ce, peu importe ce que s’est. Je lui demande qui il veut voir et avec qui il tient vraiment à passer un moment.

Toutefois, nous sommes en pleine pandémie et les visites sont restreintes. Je veux qu’il voie tout le monde, mais ça fait beaucoup de monde, je panique, je ne sais pas quoi faire. En même temps, je ne veux que personne d’autre ne vienne. C’est MON père, il va mourir. Je veux être avec lui. Nous n’avons pas beaucoup de temps, je suis égoïste et je ne veux pas le partager. Je suis terrifiée, j’ai le cœur en miette. Il me dit qu’il veut voir tout le monde. Je me ressaisis, encore. Je sors téléphoner « tout le monde ». Je suis pliée en deux, j’ai de la difficulté à marcher, à respirer. J’appelle, je crie, je pleure. Par la suite, je remonte à son étage et tout le monde vient à tour de rôle. Les infirmières sont extraordinaires, elles m’aident, me soutiennent, prennent soin de moi, même si elles ont autre chose à faire. Tout le monde part, parce qu’ils le doivent, c’est la nuit. Je reste là avec lui. J’ai peur qu’il parte lui aussi, ailleurs. Je me repose les yeux, assise sur une chaise, pliée en deux, le haut du corps sur son lit. Je suis là pour lui, avec lui. Je lui promets que je reste, que je ne vais nulle part.

La Maison du Bouleau Blanc

Le lendemain matin, avec son accord nous décidons de le transférer à la Maison du Bouleau Blanc. C’est prévu pour le début d’après-midi. Une fois sur place, il est fatigué du voyage, mais il semble prendre du mieux. Il n’arrête pas de dire à quel point il est bien ici et qu’il est heureux d’y être. Je passe la nuit avec lui et nous dormons bien tous les deux. La nuit suivante je dois laisser ma place à quelqu’un d’autre, c’est difficile. Je veux être près de lui, je lui ai promis. J’ai peur qu’il parte sans me dire au revoir. Mais je ne suis pas seule à l’aimer, je dois laisser la place aux autres membres de ma famille. Je me résous donc à passer une nuit sur deux avec lui. Les visites à l’intérieur étant restreintes à cause de la COVID-19, famille et amis se réunissent à l’extérieur tous les jours, afin d’avoir la chance de le voir quand il sort dehors prendre l’air. Il y reste parfois jusqu’à ce je doive l’obliger à rentrer. Il profite à fond de chaque visite, de chaque conversation. C’est comme ça pendant environ une semaine, puis son état commence à se détériorer et il semble prendre conscience de sa situation précaire. Ces instants sont vraiment très difficiles pour lui et pour nous. Les humains qui s’occupent de nous à la maison sont extraordinaires, il n’y a pas d’autres mots. Je dis les humains, car pour moi c’est ce qu’ils étaient bien au-delà de leurs fonctions de préposés, d’infirmières ou de médecins. Leur empathie et leur douceur ont beaucoup apaisé les moments difficiles que nous vivions. Ils ont fait la différence.

Le matin du 6 août, on nous annonce que la Maison du Bouleau Blanc doit malheureusement fermer ses portes dues à un manque de personnel. Nous devons quitter les lieux le lendemain en fin de journée. Deux options s’offrent à nous : retourner à l’hôpital ou ramener papa chez lui. Sans nous poser de questions et sans évaluer l’ampleur de cette décision, nous tranchons! On ramène Serge à la maison, c’est ce qu’il veut. En l’espace de quelques heures, tout est mis en place. Famille et amis sont déjà en actions afin de tout préparer. Les rampes pour le fauteuil roulant, les supports de sécurité, le lit adapté et tout ce qui est nécessaire sont installés et prêts à recevoir papa chez lui. Les infirmières du Bouleau Blanc nous entraînent durant une journée entière pour administrer les médicaments, font la liste des dosages, le transfert vers la pharmacie de Malartic et nous aident à trouver des soins à domicile. Nous sommes prêts à partir chez papa et son foyer est prêt à l’accueillir!

Retour à la maison

Je suis heureuse de ramener mon père chez lui, mais cette décision me remplit d’inquiétude. Je sais pertinemment que l’infirmière en soins à domicile ne viendra qu’une fois par jour et que pour le reste nous devrons entièrement assumer sa prise en charge et réaliser toutes les autres tâches qui s’y rattachent. Nous devrons lui administrer ses médicaments nous-mêmes, jour et nuit. Je suis photographe, pas infirmière… Au secours! Je ne sais pas comment faire! J’ai de la peine, je suis chavirée, mais j’ai promis. Promis de tout faire pour lui et comme il le voulait. C’est à mon tour de prendre soin de lui. Je mets de côté mes peurs et mon épuisement et je fonce tête baissée dans l’inconnue.

Les p’tits bonheurs

Mon père a toujours été un homme pour qui il était difficile de parler de ses sentiments et de les exprimer librement, mais durant ces instants, tout ça n’avait plus d’importance. Les gens que l’on aime, les mots que l’on veut leur partager, les petits bonheurs, c’est ce qui importe vraiment. J’avais l’impression de lui donner tout ce que j’avais, mais en fait, lui il m’en offrait bien plus. Il m’a enfin dit tout ce que j’avais toujours eu besoin d’entendre. Il m’a fait le plus beau cadeau du monde en s’ouvrant à moi, en me partageant combien il m’aimait et comment il était fier de moi. J’aurais tellement aimé avoir accès à cet aspect de lui avant, mais avoir le privilège d’être aussi proche de lui à ce moment précis a été pour moi une grande marque de confiance. Je me considère tellement chanceuse d’avoir eu le temps de discuter aussi simplement, profondément et librement avec lui avant son départ.

Papa n’arrêtait pas dire : « Pour moi, chaque journée c’est comme une année. Je suis tellement heureux en ce moment, c’est la période la plus heureuse de ma vie. Être chez moi, entouré de tous ceux que j’aime, quoi demander de mieux? » Comme il l’a fait toute sa vie, il prenait soin de nous. Il avait les idées et les plans pour distribuer ses p’tits bonheurs et moi j’étais chargée de tout mettre en œuvre pour que ses souhaits se réalisent. Même en fin de vie, ce qui le rendait heureux, c’était de nous faire plaisir. Que ce soit de tout prévoir pour un souper traditionnel en grande tablée, de planifier une soirée avec des feux d’artifice pour les enfants, de provoquer des instants en tête à tête avec l’un d’entre nous ou encore de donner un coup de pouce à un membre de la famille pour réaliser son rêve, il avait tout prévu. Mon père aura été un homme généreux et surprenant jusqu’à ses derniers moments. Ces dernières journées avec lui furent tellement difficiles et tellement extraordinaires en même temps. Je ne changerais notre histoire pour rien au monde.

Le deuil

Pour moi, le processus de deuil avait déjà cheminé jusqu’à l’acceptation. Nous avions souvent abordé la mort ensemble et était conscient de toute la souffrance qu’il vivait depuis plus de 10 ans avec sa maladie dégénérative. J’étais ‘’prête’’ à accepter qu’il parte dans un avenir très rapproché. Je pouvais et devais mettre de côté mes désirs et lâcher prise pour que lui puisse commencer son cheminement. Un des moments les plus difficiles pour moi fut son déni à lui. À un moment, il ne se ‘’souvenait’’ plus de ce qu’il se passait dans son corps, de ce qu’il lui arrivait. Il avait mis tout ça dans un tiroir, au fond de sa mémoire, bien enfoui en attendant qu’il soit prêt à y avoir accès. Il m’a choisi pour l’aider à accéder à cette information le moment venu. J’avais fait la promesse de toujours être franche, de ne rien lui cacher. Il savait que je tiendrais ma promesse, que s’il avait des questions, j’étais là pour y répondre en toute franchise. Ça a duré trois jours. Durant ces trois journées, j’ai dû annoncer trois fois à mon père qu’il allait mourir. Trois fois nous avons pleuré ensemble comme si c’était la première fois, parce que ça faisait toujours aussi mal. Le savoir c’est une chose, le dire c’en est une autre. Se l’entendre dire à haute voix, ça rend le tout beaucoup plus réel.

Les derniers instants

Le matin du 29 août, tout commence à être plus difficile. Depuis quelques jours, papa dort la plupart du temps et déjà plus de 20 jours avec lui nous ont été offerts depuis l’annonce du diagnostic final. À sa façon, il nous dit qu’il est épuisé, qu’il est au bout de son cheminement et qu’il a accompli ce qu’il tenait à achever ici. Nous sentons que la fin approche. Le matin du 30 août, j’ai tenu la main de mon père une dernière fois en le regardant dans les yeux avec le plus beau sourire qu’il m’était possible de lui offrir en cet instant, afin de lui souhaiter bon voyage. Il a soutenu mon regard jusqu’au dernier moment avant de fermer les yeux pour être enfin libéré de ses souffrances. Il est parti tout doucement, calmement. Je pense qu’il savait que j’avais besoin d’être avec lui pour son grand départ. Je vais me rappeler de cet instant unique et difficile toute ma vie.

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